L'histoire de la musique est faite de ces musiciens restés dans l'ombre, dans unarrière plan, peut-être parce qu'ils n'ont jamais eu le goût pour les célébrations médiatiques, parfois parce qu'il a manqué à leur musique l'évidence d'une singularité, l'accointances à leur époque, ou encore parce qu'ils ont été les artisans discrets de figures plus charismatiques.
Tetuzi Akiyama est de ceux-là, de ces musiciens talentueux restés à l'écart d'une reconnaissance médiatique et de cette récente fascination pour la scène de l'improvisation japonaise, par trop d'humilité. Downtown Tokyo, la musique de Tetuzi Akiyama est décentrée de la tradition japonaise, jouée dans l'écoute d'albums d'importation de rock psychédélique made in USA, du krautrock et du blues. Sa musique s'est formée là, non pas dans la répétition de ce qui constitue formellement ces musiques, mais à la recherche de l'esprit d'improvisation qui les animait. Ce qui l'a conduit à jouer dans les clubs de la ville improvisant un rock free avec les figures les plus marquantes de la scène de Tokyo: K.K. Null, Keiji Haino, Taku Sugimoto, Chie Mukai, avec des membres de Ghost (notamment dans le Hikyo String quartet) et son groupe Madhar.
«Abstract Blues Concrete» duo avec Taku Sugimoto, rejouant dans le dénuement le blues jusqu'à l'abstraction, ce qui les am¸nera à fonder Mongoose avec Utah Kawasaki au synthétiseur analogique, dépassant l'idiome pour ne garder qu'une vibration sonore abstraite. Passage à l'électroacoustique et à ses bricolages, aux pratiques obliques, mise en perspective du son seul, débarrassé des mythologies du rock. La musique de Tetuzi Akiyama se rattache aujourd'hui à ce que la critique anglaise a défini par le terme générique de musique «Onkyo», à l'instar de celle d'Otomo Yoshihide, de Simpoh Yanagawa et de Toshimaru Nakamura (avec qui il improvise régulièrement lors de sessions au Bar Aoyama et à la galerie Off Site). Musique de vitesses et de lenteurs, de silence et d'ˇcoute. John Cage disait que tout pouvait devenir de la musique grâce au microphone. Tetuzi Akiyama joue de la guitare, du violon alto, de la pedal-steel, d'instruments électroniques, et peut-être surtout avec des microphones, fa¨on humble et curieuse d'ouvrir sur le monde secret des objets. Il suffit d'écouter son quatuor pour aspirateurs ou ses tables tournantes (platines) sur lesquelles tournent des feuilles de papier ou d'aluminium, la tête de lecture partant en feedback. Mais son instrument premier reste la guitare (ici acoustique), cordes tendues sur le bois et sa résonance particulière. Pour «Relator» enregistrements solo pour le label de Taku Sugimoto: «Slub Music», Tetuzi Akiyama a du oublier les techniques apprises pour trouver des sons inédits, ouvrant sur de nouveaux territoires de jeux, l'accident. Creusant de façon radicale dans cette abstraction bancale entendue dans la musique du deep south (celle du primal blues & du hillbilly), poussée dans un extrême dissonant, feedback du monde moderne. Il y a une proximité avec l'univers sonore de Taku Sugimoto, ils n'ont pas donné autant de concerts ensemble, sans avoir quelque chose qui reste en partage. Des façons neuves. Il ne faut pas s'attendre à un disque qui serait constitué de ballades country ou bluesy, un truc d'hommages fait à une histoire, qui doit pourtant lui être familière. Si son jeu peut s'approcher de cette musique là, c'est à la manière de John Fahey, dans un jeu de déconstruction systématique, un peu comme si Blind Lemon Jefferson jouait sur un piano préparé par John Cage. «Relator» est un poème à la lenteur, chaque morceau comme un haïku sonore assemblant dans quelques notes posées avec une infinie délicatesse, l'âme d'un musicien rare.